Noël vous prend par surprise

La fête vous arrive avant même que vous ayez pu l’apercevoir. Les vacances à peine finies, les enfants à peine entrés en classe, vous franchissez le pont de la Toussaint pour vous précipiter sur celui du 11 novembre. Le temps de vous en remettre, voilà déjà décembre. Trop tard pour vous organiser sérieusement en vue des réveillons à venir. Et pour peu que vous n’ayez pas pu faire à temps vos achats de cadeaux, vous voilà dans la presse du 24 décembre qui, hélas, tombe immanquablement la veille du 25. Et pourtant les commerçants vous avaient prévenus : c’est Noël ! Décidément, Noël vous prend par surprise.

Et puis, il y a de l’étrange dans cette fête de Noël. Sapins et neige synthétique, Père Noël, traîneaux et cadeaux, Mon beau sapin, Ô douce nuit, foire aux santons, réveillon, foie gras et champagne, fête et solitude… Que se cache-t-il derrière tout cela ? Pourquoi tout ce bruit ? Un enfant est né dans une crèche. Mais qu’est-ce qu’une crèche ? Et pourquoi cet enfant-là plutôt que d’autres ? Marie, Joseph, une fable ? Noël, messe de minuit, les églises, le vide ou la foule. Noël : chant de paix. Suffit-il donc d’oublier que toujours, quelque part sur notre terre sévit la guerre. Noël : cri de bonheur et d’innocence. Suffit-il donc d’oublier le malheur et la veulerie ? Noël : geste de bonté. Suffit-il donc d’oublier la cruauté et la douleur ? Noël : des « contes de Noël ». Noël ne serait-il que le conte d’une nuit ? Il doit y avoir un secret, un secret bien caché, que ne parviennent pas à enfouir entièrement les paillettes, les clinquants et les attendrissements de rigueur.

Noël est un cri de victoire de la vie qui nous provoque à vivre. Nous découvrons la Vie sur le visage du Fils de Dieu fait homme. Si Noël nous demande d’ouvrir nos yeux d’un regard pur, ce n’est pas pour fixer un enfant imaginaire, figure peut-être de tous les enfants du monde, et pour le trouver si beau qu’on le divinise ! Mais pour reconnaître ce que Dieu fait apparaître de lui-même en cet Enfant, par cet Enfant dont l’avenir n’est pas lisible sur ses traits à peine formés. C’est Dieu qui prend le visage de l’Enfant. C’est Dieu qui, en cet Enfant, révèle le mystère de l’amour du Fils éternel. Ce Fils nous est donné pour que le visage de Dieu, reconnaissable dans le visage d’un Enfant, illumine aussi notre propre visage. Pour que cet amour promis depuis tant de siècles, cet amour de Dieu le Père pour son Fils bien-aimé, vous compreniez qu’il vous est destiné à vous aussi puisque vous êtes appelé, vous aussi, à vivre du même amour et à devenir, à votre tour, fils dans le Fils unique.

Le silence de la nuit de Noël est un silence favorable. C’est le silence humble et secret de l’Eglise, un silence qui n’a pas grand-chose à voir avec le tumulte qui traverse nos rues et le bruit qui emplit nos fêtes. Ce silence est celui de ces hommes pauvres, de ceux qui ont cru et reçu cet Enfant, le silence de Marie, de Joseph, des bergers convoqués, de ceux qui se trouvent là. Ce silence est celui de l’Enfant lui-même. Il nous est permis de nous taire et d’espérer que, dans le silence de l’homme et le silence de Dieu, le pardon jaillit. La paix, c’est cela. C’est une bénédiction de Dieu qui vient jusqu’à nous, qui déborde l’homme de toutes parts. Nous pouvons alors, vraiment, humblement, rendre grâce pour la Parole faite chair, encore muette.

Oui, Dieu que nous ne voyons pas, Dieu qui semble absent de ce monde, nous aime et nous sauve. Il nous sauve en nous enfantant à la vie des enfants de Dieu, avec son Fils unique, né de la Vierge Marie. Le signe de notre salut, c’est cet Enfant qui est notre Sauveur.

Jean-Marie Lustiger (1926-2007)